mercredi 30 octobre 2013

Les fissures du pouvoir

par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Quand une craque assez grosse pour laisser passer Mike Duffy s’ouvre dans la façade du pouvoir conservateur, aucun doute ne persiste quant à savoir si le Premier ministre tient son caucus un petit peu trop serré.

Hmmmmphhhiihihihihihi!!! Bon, OK, on repart :

Le processus est familier, on l’a vu se produire ici à l’Université de Moncton; quand un individu en position de pouvoir cherche à imposer par des mesures institutionnellement ‘‘justifiables’’ son contrôle sur tous les aspects du processus dont il devrait en fait être le gardien et le porte-parole, éventuellement, soit la pression exercée génère la fuite d’information, soit un changement de direction ouvre les portes sur l’arcane.

Et à partir de ce moment, tout peut aisément prendre des proportions inattendues.

Qui plus est, un message longtemps contrôlé  –une façade- lorsque libéré et soumis au jugement de tout un chacun, par l’intermédiaire de la presse et des autres médias, mais également en son for intérieur, porte le potentiel d’un effet démultiplié comme autant de bombes lancées contre cette même façade, déjà ébranlée.

La preuve en étant que le B-52 de la Colline, Mike Duffy, lance bombe sur bombe à l’endroit du Premier ministre. En fait, il a plus l’allure d’un tank, mais bon. À ce point-ci, tout est une bombe, car on se rend rapidement compte, à la lumière des révélations des sénateurs visés par la motion de suspension sans salaire du Sénat, d’une part, mais tout autant –et possiblement plus- par le message changeant du Premier ministre soucieux de défendre son image de partisan de la ligne dure aux yeux de la base conservatrice, que ce que l’on ignore semble toujours aller de plus en plus loin. De plus, il est douteux qu’on nous l’ait caché pour notre bien.

Et la question se pose quant à savoir pourquoi on choisit de nous cacher tout ça? Certains diront «parce que vous ne comprendriez pas si on vous l’expliquait»; je pense qu’ici l’histoire se raconte d’elle-même. D’autres diront que c’est pour le bien de l’institution, ce qui semble être le modus operandi de Stephen Harper; alors là il est évident que si le bien de l’institution dépend du silence radio sur ses façons de procéder, on a un sérieux problème.

Un problème qui ne se balaie pas du revers de la main, comme ont tenté de le faire les conservharpeurs ([kõsERvaRPœR] n.m. – 2013 v CONTRACT. Cons servent Harper) depuis le printemps.

On en vient par cette voie à parler des sénateurs, qui se défendent vigoureusement d’avoir enfreint les règles concernant les dépenses du Sénat, ou d’avoir, à tout le moins, enfreint ces règles avec l’approbation des gens responsables de les empêcher de le faire.

Ils disent que les règles du Sénat en matière de dépenses ne sont pas claires, et refusent de payer (une partie) de la somme qui est exigée d’eux en remboursement des sommes reçues du Sénat sous forme d’allocations de résidence secondaire et de dépenses de voyage.

Pardonnez mon intransigeance, mais sénateurs, membres du comité des dépenses du Sénat, employés démissionnaires (ou congédiés dépendamment du jour de la semaine où la question sera posée au PM) du bureau du Premier ministre, et le Premier ministre lui-même sont tout aussi coupables les uns que les autres dans cette affaire. Et ils s’obstinent à savoir qui est à blâmer parce qu’il serait impensable de punir tout le monde.

Qu’il y a au moins un dans la gang qui nous protège, ha!

Vous trouverez ce que vous devez savoir sur le sujet dans le dossier de Radio-Canada (Lien). Pas que ce que la SRC diffuse se situe au-dessus de tout questionnement, mais si la SRC prend la peine de le questionner, c’est un peu comme trouver le canari dans le fond de sa cage.

D’emblée, Harper est au-dessus des sanctions dans cette histoire, il se bat pour protéger sa réputation d’homme fort. N’empêche, sa crédibilité pourrait sortir lourdement entachée de cette affaire. De plus, depuis qu’il est sorti de son mutisme habituel envers les médias et depuis, il se met le pied dans la bouche aux trois phrases, à peu près.

Les sénateurs vont payer la note, sous une forme ou une autre. Seront-ils suspendus sans paie ni bénéfices comme Harper le demande? Le leader conservateur du Sénat, Claude Carignan, propose déjà des sanctions réduites pour courtiser le vote des sénateurs. Qui ne sont pas chauds à l’idée du précédent crée par l’affaire, j’imagine. Pour le résultat final, il faudra encore attendre longtemps.

Les règles de dépenses du Sénat ont-elles besoin de clarifications? Ont-elle seulement besoin d’un «chien de garde» qui sache les comprendre et les défendre? Parce que manifestement, si les gens concernés les comprennent, ils choisissent de les ignorer. Parce qu’ils croient avoir le droit de le faire. Légitimement.

Le problème, en somme, c’est que tout le monde, TOUT LE MONDE dans cette affaire a soit commis ou choisi d’ignorer une crocherie, et que malgré ça, tout ce beau monde s’entête à jouer les vierges offensées. Personne n’est coupable, ou du moins, personne n’accepte de porter la responsabilité de sa culpabilité, en se disant que, si c’est de la faute de quelqu’un d’autre, ils n’ont peut-être rien fait de mal.

Vraiment?

Depuis le début, Harper joue a carte de l’ignorance et martèle la faute des sénateurs, question de ne pas paraître faible ou –la honte- complice aux yeux de l’électorat et plus que tout de la base conservatrice. C’est lui qui les a nommés au Sénat, après tout

Et malgré ce qu’il répète (quoi ce ne soit peut-être pas le bon terme vu les changements apportés à sa version des faits) jour après jour, difficile de croire que Stephen Harper n’en savait rien. Pas le Chuck Norris de la Colline parlementaire, voyons. De jour en jour surgissent d’ailleurs des informations soutenant le contraire. Le chèque de 90 000$ faisait supposément partie d’une entente incluant le bureau du Premier ministre. Et il y a un deuxième chèque, nous dit-on aujourd’hui, émis pour couvrir les frais d’avocat de Mike Duffy.

La sénatrice Pamela Wallin, départie de ses attaches conservatrices, fait flèche de tout bois contre le caucus conservateur, jugeant qu’on fait d’elle (et des autres) un bouc émissaire.

Voilà ce qui me chicote : y’a toujours ben des limites à croire, en toute bonne volonté, qu’on est en train de bien faire les choses!!!

Le salaire de base d’un sénateur est déjà de 135 200$ (Gouvernement du Canada). De plus, chaque déplacement (pour des affaires du Sénat) à plus de 100km de leur résidence principale est remboursable (jusqu’à un maximum de 64 points, chaque aller-retour comptant pour un point), et les voyages par train sont gratuits (Gouvernement du Canada). Vestige de la construction du chemin de fer transcanadien, joyau de la Confédération, sans doute.

Les sénateurs savaient, les premiers, qu’ils recevaient des sommes auxquelles ils n’avaient pas droit –puisées à même les poches des contribuables- et ils empochaient tout de même sans arrière-pensée. On devine que si l’enquête qui a révélé ces irrégularités n’avait pas eu lieu, ils empocheraient encore.

Les responsables qui ont approuvé ces dépenses au Sénat voyaient défiler les chiffres devant eux et n’ont rien fait pour les empêcher non plus. Les dernières révélations de Mike Duffy ont tourné les projecteurs sur ces derniers.

J’admets le premier que je n’ai aucune admiration pour les sénateurs. Leur ineptie à s’acquitter de leurs tâches fondamentales permet de remettre en question leur existence sans grands remords. La SANB milite en faveur du maintien du Sénat (que le NPD propose d’abolir, et les Conservateurs de réformer) parce qu’il est investi de la mission de représenter les minorités. Je soutiens le principe, mais je serais bien curieux de voir ce qu’on aurait de moins dans l’Est s’ils n’étaient pas là pour nous «défendre». On aura sans doute l’occasion de revenir là-dessus.

Les sénateurs ont vraisemblablement fraudé. Sciemment, ou non, ça reste de la fraude. Désolé, mais je ne vois aucune raison de les prendre en pitié. MAIS il y a trop de gens responsables pour qu’ils soient les seuls à être sanctionnés dans cette affaire. Les manœuvres arcanes du cabinet du premier ministre au premier chef, ceux et celles qui tirent les ficelles et signent les chèques doivent être soumis au même traitement : qu’ils répondent de leurs actes devant la justice.

Mais, tu sais, quand c’est toi qui nomme les juges… ça pourrait causer un malaise.

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